Pierre à Playa del Ingles

J’ai émigré au Québec en 1989 à 28 ans. Ce n’était pas un choix mais un hasard. J’étais alors étudiant en doctorat de littérature québécoise. La vie en région parisienne était déjà de plus en plus pénible. Problème de racisme, d’emploi, de violence… J’ai obtenu une bourse généreuse du gouvernement du Canada. Je n’ai pas hésité. A cette époque, il n’y avait presque pas de Français installés au Québec et l’intégration n’a pas forcément été facile, d’autant plus qu’il existe un fort sentiment anti-français chez nos cousins de la Belle Province. Personne ne m’avait prévenu. La surprise a été plutôt désagréable. Mais les choses ont trouvé leur place rapidement. Le fait
d’être étudiant et d’intégrer une université locale m’a beaucoup aidé à rencontrer des gens, à me faire de nouveaux amis et à comprendre le mode de vie québécois. Petit à petit, j’ai découvert les bons aspects de cette société : une grande efficacité, un véritable sens du service à la clientèle et surtout, une société accueillante et respectueuse envers les minorités (les gays, les gens de couleur ou de religion différente). Autant de qualités totalement inexistantes en France.
En tant que gay moi-même, c’était la première fois que je pouvais vivre ouvertement mon homosexualité sans craindre d’être agressé partout et en étant reconnu comme un citoyen à part entière, à égalité de droits avec les autres. C’est en vivant hors de France que j’ai réalisé à quel point on était mal traité dans l'Hexagone et j’ai su très vite que je n’y retournerai plus. Je n’ai pas décidé d’émigrer véritablement au Québec, mais en revanche, une fois là-bas, j’ai
vraiment décidé d’y rester et d’y faire ma vie.

Je suis devenu citoyen canadien six ans plus tard en 1995. Par la suite, j’ai également découvert une autre façon de travailler et de gagner ma vie, en travailleur autonome, sans contrainte de patron, d’horaire, de collègue, grâce à un système social qui encourage les initiatives individuelles au lieu de tout faire pour les étouffer.
Cette société m’a tellement donné que j’ai eu très vite envie de le lui rendre en retour. J’ai fait beaucoup de bénévolat, je me suis impliqué dans de nombreuses associations, développé des projets et donné de mon temps.
Les choses ont commencé à changer au tournant de mes 40 ans. Après 16 ans passés là-bas, le terrible hiver québécois a fini par me peser sérieusement. Alors que je le supportais très bien quand j’étais plus jeune, avec le temps, je le voyais arriver chaque année en le
redoutant un peu plus. S’ajoutait à cela une situation économique qui s’est sérieusement détériorée au cours des dernières années. Gagner sa vie devenait de plus en plus difficile. J’aimais toujours le Québec mais je ne me voyais pas vieillir là-bas. C’est pourquoi j’ai pris la
décision de partir de nouveau. Comme je dis toujours, les immigrants sont de grands infidèles qui ne tiennent pas en place. Cette fois, je voulais un endroit chaud pour compenser toutes ces années passées au froid. Un endroit où la situation économique n’était pas en train de
plonger, et bien sûr, un pays où les droits des gays seraient respectés et où je n’aurais pas à lutter en permanence contre l'homophobie ambiante. J’ai choisi l’Espagne où le gouvernement
socialiste venait de reconnaître le mariage entre conjoints de même sexe. Je suis maintenant installé aux îles Canaries depuis bientôt un an. Je suis en plein dans la phase d’adaptation, qui n’est pas forcément la période la plus facile, mais je suis optimiste. J’ai ouvert un commerce avec mon conjoint. Gran Canaria est une destination touristique internationale très prisée qui nous permet de vivre à l’espagnole tout en étant en contact avec des gens de l’Europe entière
dont de nombreux Français. Plusieurs ont d’ailleurs décidé de s’installer ici et la présence française ne cesse d’augmenter sur l’île. L’avenir est prometteur. Je ne regrette pas mon choix.
De toute façon, quelles que soient les difficultés, pour rien au monde je ne retournerais en France.

Pierre, Playa del Ingles, 45 ans.