" Quand je suis arrivé à Chengdu, la capitale du Sichuan, la seule possibilité
d’atteindre l’endroit où nous devions nous installer, était de prendre un train
sur une voie unique et d’effectuer sept heures de trajet. L’usine devait être
construite dans le lit d’une rivière qu’il allait falloir remblayer. Il n’y avait
qu’un seul hôtel en ville. Je m’y suis installé et là je me suis dit, ça va être
dur mais c’est jouable. J’ai parfois eu l’impression d’être très seul, c’est vrai.
Mais je considérais cette aventure comme un défi. Alors je me suis accroché. "
Jean-Paul Desrousseaux est un authentique expatrié, comme on en trouve assez peu
dans les entreprises françaises. Cet ingénieur de formation ne le cache pas :
il aime mener à bien des projets difficiles, quel que soit l’endroit où on l’envoie
sur la planète. Au point d’avoir sacrifié sa vie familiale pour se consacrer exclusivement
à sa vie professionnelle. Il dirige aujourd’hui l’usine d’isolateurs, montée sous
forme de joint venture à Zigong, par Sediver, fabricant français d’isolateur haute-tension.
" Lorsque la société a décidé de s’implanter en Chine, je me suis immédiatement
porté volontaire. J’avais déjà une expérience d’expatrié au Brésil. J’abordais
la cinquantaine et je voyais cette entreprise comme le fleuron de ma carrière.
" Partenariat oblige, les deux unités de production nécessaires à la fabrication
d’isolateurs devaient être implantées dans l’état du Sichuan, au sud du pays,
près de la frontière avec le Tibet. Une région très peuplée, 110 millions d’habitants,
mais également très éloignée de la côte où sont concentrées les activités à
vocation internationale.
" Je suis allé sur place d’octobre à décembre 1993 pour conduire les négociations
techniques avec nos partenaires chinois. A l’époque nos relations étaient très
tendues et nous avons eu beaucoup de conflits. J’avais conservé mes idées occidentales
et je n’avais pas compris qu’il faut toujours travailler de façon consensuelle.
C’est un paradoxe, mais le respect du chef se conjugue avec l’adhésion de l’équipe.
Tant que vous n’avez pas obtenu cette adhésion, vous n’arrivez à rien. En Chine,
on ne passe jamais en force. Une fois que vous avez intégré cette loi non écrite,
les choses s’arrangent et peuvent même aller très vite. Nous avons ainsi comblé
le lit d’une rivière et construit deux usines, l’une de 11 000 mètres carrés,
l’autre de 2 600, en treize mois. Tout s’est fait à la main et des milliers
de Chinois ont travaillé sur le chantier. C’était très impressionnant. "
Les deux unités de fabrication sont aujourd’hui opérationnelles. Jean-Paul Desrousseaux
dirige la plus importante, la seconde est pilotée par un Français d’origine
chinoise. " Les tests de production ont été satisfaisants et nous avons
dépassé nos objectifs dès la première année. "
Après avoir passé six mois dans l’ancien hôtel de la ville, typiquement chinois,
doté de grandes pièces peu confortables, où l’eau chaude et l’électricité sont
quelque peu capricieuses, Jean-Paul Desrousseaux s’est installé dans le nouvel
hôtel, construit depuis son arrivée. Il y dispose d’une suite, louée à l’année,
qu’il a équipée pour se faire un peu de cuisine le soir. " On mange extrêmement
épicé au Sichuan, probablement par mesure d’hygiène, à tel point qu’on ne sent
plus le goût des aliments. " Il cherche désormais un appartement où s’installer
durablement. Son temps libre, il le passe essentiellement à Chengdu, la capitale,
où il part chaque week-end faire ses emplettes et dîner dans les restaurants
occidentaux. S’il ne cache pas que la solitude lui pèse parfois, il a toutefois
l’occasion de rencontrer quelques Européens, notamment deux amis bourguignons,
en poste à Zigong pour le compte de Framatome et quelques Américains installés
là, dans le cadre d’une joint venture fabricant des fibres polyester. "
Cette aventure est très différente de mon expérience brésilienne. En Chine,
je suis parti seul. Mes enfants sont grands et j’ai privilégié ma vie professionnelle.
Mais pour réussir ce type de défi, il faut être bien dans sa tête et dans son
corps. Il ne faut surtout pas commencer à compter sur un calendrier les jours
qui vous rapprochent du retour. Et puis, petit à petit, vos repères changent,
votre rythme évolue et pour vous, un magazine français qui date de trois semaines,
devient un véritable trésor. "
Jean-Paul Desrousseaux
Directeur Général de la filiale chinoise
Sediver