LE DRAGON DE LA PROCHAINE DÉCENNIE ?
Auteur : Directeur Régional du Commerce Extérieur
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Le marché russe appartient au présent

Ce n’est plus celui des grands contrats d’hier, ce n’est pas encore celui d’une économie parfaitement stabilisée, c’est le marché d’une économie émergente.

Par ailleurs et contrairement aux préjugés fréquemment entendus à propos de la Russie, il s’agit d’un marché de consommation en pleine expansion puisqu’on y observe l’émergence progressive d’une classe moyenne qui révèle dès à présent des intentions d’achat très prometteuses.

La récente étude réalisée auprès de 4 000 personnes sur l’ensemble du territoire de la Fédération de Russie par la société Russian Market Research Corp, basée à Moscou, identifie ainsi huit groupes au sein de la population russe et détermine leurs comportements en matière d’achat et d’habitudes de consommation. Les résultats de cette analyse montrent qu’à une population de 6 millions de personnes (4 %), les nouveaux riches, disposant d’un très fort pouvoir d’achat, s’oppose une quarantaine de millions d’habitants (environ 30 %), les plus pauvres des Russes. Entre ces deux groupes, on distingue une classe moyenne représentant près de 70 millions d’habitants (soit 50 %) et qui constitue le potentiel de développement du marché russe. Il est à noter que ces résultats apportent un éclairage très différent de celui des analyses politiques et macro-économiques.

Pour autant, si le marché russe est avant tout un marché de biens de consommation, extrêmement dynamique, représentant 40 Mds$ soit 66 % des importations totales, il ne faut pas négliger les projets d’équipement, sur lesquels les possibilités de financement multilatérales ou franco-russes sont largement ouvertes.

La Russie aujourd’hui

  • trente fois la superficie de la France
  • le deuxième pays émergent après la Chine et seulement à trois heures de Paris
  • un enjeu exceptionnel avec ses 150 millions d’habitants
  • un très gros pourvoyeur d’énergie pour la France (gaz notamment)
  • un pays à très fort potentiel industriel

La Russie est un pays dont l’économie se stabilise : un ambitieux programme de réformes économiques, sociales et fiscales destiné à remettre la Russie sur la voie de la croissance a été lancé en mai dernier. Il repose sur les sept points essentiels suivants :

  • le remboursement des arriérés de salaires et de retraites, estimés à 9 Mds$
  • l’amélioration de la couverture sociale des plus démunis et la suppression des innombrables subventions héritées de l’époque soviétique
  • le développement des productions industrielles et agricoles
  • la mise en valeur des régions, en soutenant les " initiatives locales "
  • la lutte contre la corruption
  • la réduction du train de vie de l’Etat
  • une meilleure information des citoyens (mainmise de l’Etat sur les principaux médias)

La stabilisation de l’inflation, la baisse des taux d’intérêts, la relance et l’accélération des privatisations sont autant de signes positifs et même si " rien n’est jamais définitivement acquis ", on est en droit de penser que la Russie devrait renouer avec une croissance, certes modérée dans un premier temps, mais réelle d’ici la fin du siècle.

Pour les pouvoirs publics français qui se sont mobilisés, on ne dira jamais assez que la Russie est un marché prioritaire et pourtant, les entreprises françaises ne s’y intéressent que trop frileusement, sans doute encore trop influencées par les médias : notre retard est le reflet d’un décalage profond entre la réalité du marché et la perception qu’en ont les sociétés françaises. C’est pourquoi tous les efforts doivent être mis en oeuvre pour tenter de réduire ce décalage insupportable.

A ce stade, il peut être utile de mentionner brièvement le cadre dans lequel s’inscrivent les relations bilatérales franco-russes.

Les relations économiques franco-russes sont aujourd’hui définies au niveau des Premiers Ministres par la Commission des Premiers Ministres (anciennement Commission Economique Juppé-Tchernomyrdine), qui s’est réunie pour la première fois à Moscou en février 1996 et une seconde fois à Paris en novembre 1996 et le CEFIC, Conseil Economique, Financier, Industriel et Commercial, dont la création remonte au mois de février 1992, présidé du côté français par le Vice-Premier Ministre de l’Economie et des Finances et du côté russe par le Vice-Premier Ministre. Le CEFIC constitue la structure de travail de la Commission Economique, à qui elle fait rapport tous les six mois de ses travaux, notamment ceux des six groupes de travail dont il s’est doté (énergie - conversion des industries de Défense - formation des cadres - investissements et échanges, santé, agro-alimentaire).

Sur le plan financier

On rappellera que deux accords ont été signés en février 1997 ; l’un concerne l’ouverture d’une nouvelle ligne de crédit d’un montant de 1,5 MdF et l’autre consiste en un accord cadre de financement dans le secteur pétrolier, dont le plafond a été fixé à 2,5 MdF.

Dans le contexte qui vient d’être exposé, on peut se féliciter de la progression constante des performances françaises. En 1996, nos exportations vers la Russie se sont élevées à 10,244 MdF, nos importations à 20,232 MdF et notre taux de couverture s’est nettement amélioré, passant à 50 %. La France était le 6ème fournisseur et le 13ème client de Russie.

De l’analyse des chiffres 1996 publiés par les Douanes françaises on retiendra quatre points majeurs :

Nos exportations vers la Russie

Elles continuent à progresser, et ceci depuis l’été 1994. Nos exportations ont augmenté de près de 23 % en 1996, soit un peu moins qu’en 1995, mais chiffre quand même remarquable sur un marché beaucoup plus difficile, dont les importations globales avaient augmenté de 21 % en 1995, qu’elles ont diminué de 2 % l’an dernier. A partir des données douanières françaises (plus fiables que leurs confrères russes qui tiennent compte des importations de navette), on peut estimer notre part de marché en 1996 à 3,35 % du marché total russe, contre 2,9 % en 1995 et 2,4 % en 1994. Je reprends toujours, comme vous avez pu le constater, les chiffres depuis 1994 pour démontrer que l’évolution de nos ventes est positive, certes, mais surtout en constante progression.

Cette constante progression s’accompagne d’une composante sectorielle très marquée.

Par branche, nos résultats sont très positifs dans quatre domaines :
les produits agro-alimentaire = 26 % de nos ventes (+ 30,4 % de croissance), forte remontée des produits agricoles bruts + 82 %
les biens de consommation courants = 25 % (+ 30 % de croissance), poids prépondérant des parfums-cosmétiques.
l’électroménager = 12 % (+ 67,8 % de croissance), que l’on isole à présent de la rubrique des biens de consommation en raison de son importance (la profession elle-même estime que le marché russe représente désormais le dixième de ses ventes mondiales).
les demi-produits = 12 % (+ 34,4 % de croissance), métaux et chimie à parité.

En revanche, nos performances ont été médiocres dans deux secteurs spécifiques : les équipements professionnels et l’automobile (offensive des constructeurs coréens (Daewoo) et tchèques (Skoda).

Nos importations en provenance de Russie

Elles se sont encore accélérées et progressent près de 7,5 fois plus vite que nos importations du monde entier.

Le poids de la Russie dans nos importations place ce pays au 12ème rang de nos fournisseurs, entre la Suède et l’Arabie Saoudite.

Nos achats en matière d’énergie ne cessent de s’affirmer : ils ont crû de plus de 30 % et représentent désormais près de 75 % de nos importations totales.

Les demi-produits qui représentent encore 20 % de nos importations, ont connu un revirement complet depuis 18 mois avec une baisse de 17 % l’an dernier (15 % pour les métaux et 22 % pour la chimie).

Notre déficit reste important certes, mais notre taux de couverture ne cesse de s’améliorer : 43 % en 1994, 45 % en 1995 et 50 % en 1996.

Enfin, on ne saurait être complet sans dire un mot sur les investissements.

En 1996, nous étions le 4ème investisseur en Russie avec, selon les sources, entre 1,5 et 2,5 MdF soit près de 11 % du stock cumulé, largement derrière nos concurrents habituels que sont les Etats-Unis (22 %), la Grande Bretagne (17 %), l’Allemagne (11,5 %).

On recense près de quatre cents entreprises françaises implantées, mais seulement une trentaine ont une activité de production.

Je voudrais conclure ce propos sur une note optimiste.

Comme nous l’avons vu, les structures d’appui existent, adossées au soutien des pouvoirs publics français et le marché est gigantesque : l’agro-alimentaire, la santé, l’automobile, le bâtiment, les télécommunications, le tourisme, les équipements pétroliers sont en plein développement. La baisse des taux d’intérêts va entraîner une baisse des taux d’épargne, qui, elle-même générera un regain de consommation des ménages. Parallèlement, la reprise des investissements, après les incertitudes politiques de 1996 et la volonté affirmée de parvenir à une certaine stabilisation économique, devrait elle aussi favoriser les importations de biens d’équipement. Il faut donc saisir ces nouvelles opportunités.

Aussi, suis-je personnellement convaincue de la capacité des entreprises françaises à aborder ce marché et prendre la place qu’elles méritent, si tant est qu’elles acceptent d’y mettre les moyens et surtout d’avoir beaucoup de patience.

Monique Frangeul Chapelle
Directeur Régional du Commerce Extérieur