" En Suède, il faut être patient et obstiné. Notre implantation s'est étalée
sur deux ans. J'ai dû m'y rendre quatorze fois l'année de la négociation ",
explique Alain Honnart, directeur industriel du groupe Vallourec et président
des sociétés Inox et métaux spéciaux. Spécialisé dans la fabrication de tubes
pour l'industrie pétrolière, mécanique, chimique ou nucléaire, le groupe se dispute
la place de leader sur le marché mondial face à l'argentin DST, devant les Japonais
et les Américains. " Initialement, nous étions licenciés et clients de la
société suédoise Granges Nyby, fabricant de poudre inox, d'alliages de nickel
et de cobalt.
Notre participation a démarré sous la forme de joint venture et de coopération.
En 1982, nous sommes devenus partenaire minoritaire en rachetant 40 % des parts
d’une société créée à cet effet : Anval. Six ans plus tard, nous avons acquis
les 60 % restants. Mais ce fut plus un concours de circonstances qu’une volonté
délibérée. Dès 1979, ils avaient développé un procédé industriel original, complémentaire
à notre fabrication en France. C'est la recherche d'une technologie de production,
que l'on souhaitait accompagner d'un programme de recherche et développement,
de marketing, etc., qui nous a conduits à nous implanter en Suède. Plus qu'une
implantation, il s'agissait d'accéder à une technologie et à un équipement original
qui n'existait nulle part ailleurs. "
Riche d'une tradition séculaire dans les aciers et notamment dans le domaine
des inox, la Suède reste pour beaucoup d'entreprises de métallurgie le berceau
de leur développement. Bassin sidérurgique traditionnel, la Suède pose le problème
des distances géographiques. " Il faut compter deux heures et quart de
vol. Et l'entreprise ne se trouve pas à Stockholm même. " A 120 kilomètres
à l'ouest de la capitale, Anval est installée sur le site industriel de Torshalla,
proche du lac Mallaren. " Le coût des transports est non négligeable. C'est
l'une des destinations les plus chères d'Europe. "
Au problème de l'éloignement s'ajoutent des différences culturelles importantes
entre Suédois et Français. " Comme dans toutes les cultures germaniques,
l'approche est plus posée. Ils ont un grand souci du détail. Les traditions
syndicales sont également très différentes. Au départ, elles ont posé un certain
nombre de questions. D'abord, tout le monde est syndiqué. Ce sont des syndicats
puissants et riches, qui sont membres des conseils d'administration. Leurs avis
comptent. Ils doivent être sollicités pour des décisions de structures d'encadrement,
d'embauches. C'est toujours une surprise pour des patrons français. " Lors
de la reprise de la société, les syndicats ont délégué leur propre expert face
à la direction française. " Un consultant international de très haut niveau,
rémunéré par les syndicats est venu discuter avec nous de la stratégie que l'on
comptait mener. Les discussions se sont très bien passées. Le blanc-seing dont
disposait ce consultant a dû avoir son poids vis-à-vis de la réaction des syndicats
à notre égard. "
Une situation d'autant plus importante que la Direction de Vallourrec a fait
savoir que la reprise d'Anval allait s'accompagner d'une restructuration industrielle,
et notamment de la fermeture d'un des outils, dont une version plus moderne
existait déjà en France. La décision s'est traduite par une douloureuse et coûteuse
réduction des effectifs de 182 à 82 personnes. " Nous avons, au préalable,
dû rencontrer le ministère de l'Industrie suédois pour expliquer nos intentions.
" Quelle leçon en tirer ? " Nous avions certainement sous-estimé les
coûts sociaux et de remise en conformité environnementale. Même s'ils sont aujourd'hui
en France équivalents à ce qu'ils étaient il y a plusieurs années en Suède.
Cela s'est uniformisé. L'espace européen est une réalité. " La remise à
niveau a coûté plusieurs dizaines de millions de francs.
Ici, le personnel est presque exclusivement suédois. Faute d'avoir pu trouver
sur place, les compétences de manager requises, les dirigeants de Vallourec
se sont résolus à confier la direction générale à un Français. Et encore à temps
partiel. " Le seul lien avec la maison mère, c'est l'envoi des bilans.
" Autonome, la société est gérée par les Suédois, et accueille seulement
un stagiaire français ou une personne en CSNE pour des missions de recherches
ou développement. " L'expatriation est fort coûteuse. Les impôts sont très
élevés, compensés pour les Suédois par des avantages fiscaux sur l'accession
à la propriété ou sur les emprunts. Un Français aura tous les désavantages.
Par rapport à la taille de notre entreprise, quatre-vingts personnes pour un
chiffre d’affaires de 100 millions de francs, il est difficile d'avoir un expatrié.
Cela double son coût salarial. "
En revanche, l'entreprise bénéficie d'un taux d'imposition plus faible qu'en
France. " Les entreprises sont moins taxées que les individus et bénéficient
de règles relativement souples de provisions sur stock. " A son arrivée,
Alain Honnart a dû avoir recours à deux banques suédoises. Une manière de montrer
patte blanche pour une petite entreprise. " Au départ, on nous considérait,
nous Français, gens du sud, ni fiables ni sérieux. Avec le temps, ils ont appris
à voir que l'on raisonnait dans la durée, avec obstination et acharnement. Des
qualités qu'ils apprécient ". Aujourd'hui, Anval et ses deux filiales de
distribution allemandes et américaines vendent les produits dans le monde entier;
aux USA, en Corée, à Taiwan, en Europe. 90 % sont exporté alors qu'autrefois
le groupe Vallourec assurait le principal débouché de la société suédoise. Depuis
quatre ans, Anval a franchi le point d'équilibre et retrouve des résultats positifs.
Alain Honnart
Directeur Industriel
Groupe Vallourec